Etienne Primard, créateur de SNL

Témoignage d’Etienne Primard, qui a confondé Solidarités Nouvelles pour le Logement en 1988. Ce témoignage a été recueilli lors du Colloque que l’association a organisé pour ses 30 ans. 

« Il est habituel d’entendre dire que Denis est le « diseur » et moi le « faiseur ». Et nous l’avons
entendu pour Denis. Quant à moi, je pense et je parle aussi. Néanmoins, je serais court. Solidarités Nouvelles pour le Logement place l’habitat en premier. L’habitat n’est autre que l’envers de nos corps. Qu’une séparation entre le dehors et le dedans. Qu’un emplacement où le corps prend place parmi d’autres. Qu’un lieu d’où l’on parle à celui qui veut bien écouter.

Il est des coutumes en Afrique où dire merci est insister sur l’effort consenti et ne pas dire merci est signifier le naturel dans tout acte de bienveillance, dans tout altruisme. Et être solidaire doit être chose naturelle. La fraternité ne se décrète pas : elle se vit. Alors pas de merci, ni à Denis, ni à moi. Nous sommes tombés dedans à notre naissance. Comme tous nos frères et sœurs, et grâce à nos parents et à leurs amis, nous avons eu une jeunesse ouverte, où la mixité sociale et intergénérationnelle était privilégiée, avec confrontation des universaux, multiplication des prises possibles et des liens, le tout facilité par le partage et une frugalité heureuse.

Pas de merci non plus à nos épouses respectives, Brigitte et Françoise. Elles étaient déjà convaincues. Avec elles, nous avons créé, entre autre chose, à Paris et au Rotoir, dans le sud de l’Essonne, des appartements ou maisons pour des familles regroupées, avec au centre des communs et des logements pour ceux qui n’en avaient pas. Ces solutions se révélèrent vite insuffisantes, compte tenu du nombre de personnes en détresse rencontrées. D’où Solidarités Nouvelles pour le Logement.

Mais des merci à tous les bénévoles et à tous les salariés qui nous ont rejoints. Ils ont voulu et veulent remettre l’habitat au commencement, condition d’urbanité et de citoyenneté pour chacun. Et ils l’ont merveilleusement fait. Un Groupe local de Solidarité, réunissant une dizaine de personnes, a généré dix nouveaux logements accessibles, bien situés, et accueilli plus de 100 personnes en moyennes. Un bénévole a généré un logement et accueilli plus de 10 personnes.

Merci aux bienfaiteurs, aux donateurs et aux partenaires financiers, publics et privés. Eux aussi ont bien compris que l’habitat est bien un droit constitutif de l’espace civique et politique, et en cela il est bien plus que le droit au logement, qui est un droit social.
Et un très grand merci aux locataires. Ils nous communiquent leur joie à chaque remise de clé, à chaque découverte de la douche, de la cuisine, de la boite à lettre. Ils participent au modèle économique en payant leur loyer. Ils nouent des liens et savent se faire solidaires, malgré les difficultés, en laissant la place à d’autres, le moment venu.

Mais des questions subsistent.

Si nous avons obtenu tous les prix possibles – Prisme d’or de l’UNAH, prix de l’Ordre des architectes, prix de l’entreprise sociale et solidaire de plus de 50 salariés, prix de l’Entrepreneur social, prix de la Ville de Paris, Lauréat de la France S’engage, Ordre National du Mérite, Légion d’honneur… – la situation reste insoutenable comme l’a dit Denis. Elle est même tragique pour les migrants. La France construit en périphérie, et les centres se vident. Le nombre de logements vacants augmente. L’accueil des étrangers fait peur. Alors comment mieux mobiliser la société civile pour plus d’hospitalité, pour plus de logements accessibles, pour plus de liens ?
Comment améliorer nos rencontres et mieux signifier à chacun son appartenance à l’Association, sa place au sein de la Cité ?
Comment augmenter le nombre de solutions durables (de logement de sortie dans notre jargon) toujours à trouver ou à créer, comme le dit notre Charte ?

Une suggestion, utopique par les temps qui courent. Mais n’est-ce pas le cas de toute imagination, de toute créativité, de toute marche à contre-courant ? Il y a ceux qui n’ont pas de logement, et tous ceux qui débarquent. Il y a 20% des locataires et 30% de propriétaires qui consacrent au logement (loyers ou crédit et charges) plus de 40% de leur revenu. Ils doivent vendre une partie de leur vie pour pouvoir habiter, pour pouvoir entrer dans l’urbanité, cet échange constitutif de leur citoyenneté.
Pourquoi ne pas envisager une allocation universelle de logement, une « mise de départ » et éventuellement une « prise de sortie », qui ne serait monnayable que dans la sphère du logement.
Quelques chiffres pour comprendre. Chaque année, nous consacrons 40 milliards d’aide au logement et 36 milliards d’aides sociales liés le plus souvent au mal-logement. Cela fait 76 milliards. Divisés par 25 millions, le nombre de minages, cela fait 3 000 euros par an par ménage. Multipliez par 50, le nombre d’année d’amortissement. On aboutit à 150 000 euros, soit le prix moyen d’un 50m2 pour 2,5 personnes. »